J'ai indiqué il y a quelque temps que je me refaisais l'intégrale d'Agatha. Il fait doux dans le jardin et on accompagne volontiers ses élégantes histoires d'une citronnade ou d'un cocktail à base de rhum.
Mes premières lectures de la célèbre Anglaise remontent à la fin de l'adolescence. Je me rappelle avoir commencé avec l'Affaire Protheroe, qui m'avait bien estomaquée, et poursuivi en beauté avec Le meurtre de Roger Acroyd (qui demeure, à mon avis, un des meilleurs).
Agatha reste-t-elle un must, en ces temps où le héros ne se rase pas et a mauvaise haleine?
Pas un seul prolo dans ses ouvrages à part les domestiques de Lord Graham-Neville, toujours très stylés et dévoués à leur maitre. Ils votent conservateurs ces imbéciles!
Pas d'homo, pas de djeuns, pas de borderline.
Mais...
- des jeunes femmes éthérées (celle-là se font assassiner),
- de jeunes idiotes (idem. Souvent des cuisinières. Elles s'appellent toutes Gladys),
- de vieilles chattes qui dégustent leur darjeeling en colportant des ragots,
- des colonels hors d'âge qui claquent leur retraite dans des spéculations de rosière ( quelques alcoolos, tout de même, mais whisky ou cognac plutôt que Corona),
- d'impayables aristos que les traducteurs appellent "Votre Seigneurie",
- de mystérieuses espionnes très maquillées, souvent russes ou françaises,
- des rastaquouères venant du sud qui mettent en danger le bon vieil art de vivre à l'Anglaise.
Bref, la nostalgie de l'Empire.
J'ai essayé de relire dans un certain ordre. C'est capital car la bonne dame a démontré une certaine capacité d'évolution.
Entre La Mort dans les nuages, où les deux jeunes gens échangent sur leurs goûts communs et découvrent avec émerveillement qu'ils ont les mêmes (Entre autres, ils détestent le jazz et les nègres) et Pension Vanilos, où deux des locataires sont de brillants étudiants africain et jamaïcain, elle a capté quelque chose du changement des moeurs.
Elle se moque parfois de ses vieux colonels (mais jamais des aristos, figures de proue d'une Angleterre éternelle).
Pour tout dire, il y a du génial, du bon et du moins bon. Parfois même du limite j'ai des impôts à payer.
La présence de Miss Marple, du grand Hercule ou de l'inénarrable auteur de romans policiers Mrs Ariadne Oliver ne suffit pas à garantir la qualité de l'intrigue, parfois bien emberlificotée et s'appuyant sur des coincidences tellement hasardeuses que même un amateur de TF1 les trouverait improbables. "Je passais dans la rue et j'entendis une conversation où il était question des plans secrets du sous-marin"... Ou à peu près... (L'Homme au complet marron)
Je passe sur les traductions, surtout les premières, parfois peu fidèles au style assez lapidaire de la lady.
Mais franchement, il serait dommage de commencer par le quelconque Mystère de Listerdale alors que quelques pépites vous attendent.
Je ne décortiquerai pas la mécanique d'horloge des énigmes, on sait qu'elle est la reine du whodunit. Mais il n'y a pas que ça. Elle peint une société en train de disparaitre. Comme ce sont de fiers fils d'Albion, ils campent debout sur le Titanic en défiant l'iceberg. Rule Britannia!
Quelques tableaux valent le détour: ladies déglinguées qui gardent toutefois la tête haute, vieilles filles émoustillées par le pasteur qui se disputent pour faire la quête à l'église, ou touristes anglais en goguette qui ne savent pas qu'ailleurs on parle une autre langue ("Ces indigènes sont tellement sales et ignorants! Le croiriez-vous ma chère, leur Anglais est incompréhensible!"). Il faut dire que l'Empire est tellement vaste qu'ils sont partout chez eux.
Elle oscille entre un attachement viscéral aux valeurs victoriennes et un humour ravageur. Plutôt détonnant.
Ses portraits de jeunes femmes aussi méritent que l'on s'y arrête; elle décrit des filles fortes, qui veulent être indépendantes (du moins jusqu'à leur mariage...)
Parmi les meilleurs (partialité garantie):
Cinq petits cochons
La mystérieuse affaire de Styles
La maison biscornue
Je ne suis pas coupable
Drame en trois actes
Le vallon
Le flux et le reflux
Le miroir se brisa
Un cadavre dans la bibliothèque
Témoin muet
Le cheval pâle
et l'excellent La mort n'est pas une fin, qui offre la particularité de se passer dans l'Egypte ancienne. Le second mari de Mrs Christie était archéologue. "C'est parfait , disait-elle, plus je vieillis et plus il m'aime".