Il y avait le Club des Cinq. Incontournable et jouissif.
Le premier avait été offert à mon frère lors d'une remise de prix, à l'issue du cours préparatoire. (En ce temps-là, on remettait des prix aux bons élèves, petits enfants de France).
Le Club des cinq et le Trèsor de l'Ile. C'était le livre de la rencontre entre les quatre cousins. Dévoré, adopté.
Je voulais être Claude, bien sûr, la fille-qui-voulait-être-un-garçon. C'était une brunette aux boucles courtes, comme moi. L'idée que l'on puisse s'identifier à la fade Annie me faisait rire. J'étais mitigée, toutefois, sur le chien au nom de roi mérovingien.( Le traducteur de Madame Blyton devait être un mémorable fumeur de moquette). J'avais cependant trouvé les limites du club : les cousins qui prennent toujours leurs vacances tous seuls et qui ne grandissent pas, errant de contrebandiers en gitans, circulant dans des roulottes sur la lande, et toujours sauvés par le clébard. Je crois cependant qu'ils sont responsables de mon premier voyage en Angleterre et de mes promenades sur les étendues désolées du Devonshire. Il y avait cinq images couleurs par bouquin, sur lesquelles je me précipitais. Des illustrations qui suscitaient des rêveries sans fin. Les cousins en pique-nique, au milieu des herbes folles, une roulotte en arrière-plan.
Il y avait les soeurs Parker, Liz et Ann, une brune, une blonde, toujours fourrées dans des histoires invraisemblables, première incursion dans les highs schools anglo-saxonnes.
Il y avait Alice, qui conduisait avec désinvolture son cabriolet bleu (son père était avoué) et dont le sympathique fiancé arrivait à point nommé pour faire figuration en fin de roman. Leurs relations, éthérées, suaves, policées n'autorisaient aucune dérive tendre. Le contrebandier (le contrebandier!) menaçait la belle, Ned (ou Ted?) arrivait cheveux au vent, et hop! Emballez-moi ça, les méchants vont en prison.
Tout de même, c'était des portraits de filles fortes, qui se débrouillent et résolvent des énigmes, les fiancés n'étant que là où on les pose.
Mon héroïne c'était Fantômette, d'un justaucorps vêtue, avec sa cape bicolore, son grand col empesé et ses collants noirs, un loup vénitien sur le visage. Fantômette m'a fait passer des heures haletantes et comiques, flanquée de ses deux acolytes improbables (Ficelle et Boulotte) à la poursuite de bandits chapeautés (le Furet, le prince d'Alpaga). Fantômette est une des responsables de ma vocation littéraire car je ré-écrivais ses aventures, penchée des heures entières sur la table du jardin. Mon frère écrivait à mes côtés, parsemant les histoires de bagarres supplémentaires et de matches de foot (qui manquaient dans le texte d'origine, il faut bien l'avouer).
Franchement, autant Superman est ridicule, avec son costume bleu pétard, autant Fantômette était classe, petite souris en jaune, rouge et noir, frêle silhouette qui jaillit de l'ombre, pour se moquer du brigand.
Lectrices, allez faire un tour là et prenez votre thé Earl Grey pour accompagner les madeleines.