Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 mars 2006 7 05 /03 /mars /2006 12:44
- Tu le paieras, salope ! 
Sandrine fondit en larmes. C'était le quatrième appel. Elle reposa le combiné sans raccrocher et se laissa aller à son désarroi, sans tenir compte de Valentine qui sautillait autour d'elle en l'assourdissant de questions :
- Qui c'est ? Sandrine? Sandrine, pourquoi tu pleures? Qui c'était au téléphone? Je peux répondre la prochaine fois?
Avant ça, il y avait eu les journalistes. Ce Puivert avait appelé six fois depuis la veille!
Béatrice était partie s'acheter un portable, mais, même poussée dans ses retranchements, elle avait l'obstination ridicule de refuser de faire changer son numéro. Elle avait simplement interdit à sa fille, prompte à décrocher, de toucher au téléphone.Valentine, ses talents de standardiste muselés, se défoulait par des danses indiennes rituelles autour d'une Sandrine au bord de la crise de nerfs.
- Qui c'est Sandrine? Pourquoi je peux pas répondre?
Demain soir, le docteur était de garde et Sandrine serait seule pour la nuit avec Valentine.
Pour l'instant, elle préférait ne pas y penser. Quoiqu'en dise Madame Mercier Beaumont, elle laisserait le téléphone en permanence décroché. Elle avait dépassé le stade où, frissonnant d'un plaisir malsain, elle se prenait pour l'héroïne d'un feuilleton de la Une.
Béatrice revenait, sourcils froncés, visage de marbre. En passant, elle remit à sa place le combiné du téléphone: nul de ferait la loi dans sa maison. Elle se laissa choir dans un fauteuil, tapotant nerveusement l'accoudoir. Elle regarda autour d'elle. C'était sa maison. Elle avait chiné les meubles, choisi les tableaux, suspendu au-dessus de la cheminée le miroir de Venise de sa grand-mère. Ce fauteuil art déco triomphant, si peu confortable , dans lequel elle se recroquevillait depuis l'enfance, son grand-père l'avait acheté avant la guerre, de même que le tapis dont l'épaisseur avait défié trois générations. Elle s'était quasi ruinée pour le Vander Meulen. Aucun connard armé d'un téléphone ne la ferait bouger de là.
La sonnerie retentit de nouveau , arrachant à Sandrine un petit cri de souris. Béatrice se jeta sur l'appareil:
- Oui! rugit-elle avec tant de rage que Valentine sursauta, et partit prudemment se réfugier dans les jupes de Sandrine.
Mais le visage de sa mère s'éclairait:
- C'est toi? Je suis désolée. Un peu fatiguée. J'allais justement t'appeler. J'ai acheté un portable, pour mes gardes. Je voulais t'en donner le numéro...Mais non, il n'y a pas de problème...Oui, tout va bien. 
- C'est papa! cria Valentine en battant des mains et en sautant. Maman, Maman, je veux lui parler!...
- N'inquiète pas Papa avec nos histoires souffla-t-elle. Il a assez de soucis comme ça.
- D'accord, sourit Valentine qui emporta le téléphone dans sa chambre pour discuter plus à son aise.
Au moins, le quart d'heure suivant serait sans coup de fil!
Béatrice se détendit un peu.
 - Sandrine, pour l'amour du ciel, ne faites pas cette tête. Si on se buvait une petite douceur? Un ti punch maison, ça vous dit?
Il était sans exemple que Sandrine ait refusé un ti punch celui que Madame Mercier Beaumont faisait avec le vrai rhum que son mari rapportait des Antilles. Même si, bien sûr, cela n'avait rien à voir avec le nectar que préparait François Beaumont lui-même et qu'il servait à Sandrine avec son air mi-figue, mi-raisin. François Beaumont l'intimidait: il était grand, impassible, distingué. Le frère de Sandrine trouvait intelligent de l'appeler Mamadou. Il se moquait de sa sœur parce qu'elle faisait la bonniche, comme il disait, et préférait glander avec ses copains en cultivant sa xénophobie.
En tout cas, Monsieur Beaumont était français, ce crétin de David n'avait rien à dire là-dessus. La preuve, il représentait la France aux nations Unies. Ca te défrise, ça hein David? Oui mon vieux, un blackos pour te représenter, à toi! Et en plus lui, il écrit le français sans faute d'orthographe!
Et il n'oubliait jamais Sandrine, quand il revenait de ses destinations exotiques: dans ses mains fleurissaient les tissus ethniques, et prenaient vie les petites statuettes en bois précieux. Ou de New York, il ramenait les luxueuses lunettes, qu'elle ne pourrait jamais s'offrir ici.
Malheureusement il ne serait pas là avant trois semaines. Lui aurait fait entendre raison à sa femme au sujet du téléphone!
Sandrine accepta le ti punch et s'offrit un quart d'heure de répit. Les deux femmes restèrent silencieuses. Dans l'ensemble, elles avaient peu de choses à se dire une fois réglées les questions pratiques concernant Valentine et la tenue de la maison.
Béatrice rêvassait, puisant le réconfort dans la boisson sucrée. La matinée avait été pénible, inaugurée par le directeur et Jalons , clôturée en beauté par Meyer qui s'était pointé de sa démarche dandinante au moment où elle quittait son bureau.
- Je te dérange?
Oui, bien sûr, tu me déranges, mais je suis trop bien élevée pour te le dire.
- Je n'ai pas beaucoup de temps avait-elle fait remarquer.
Il avait bien fallu le faire entrer dans le bureau.
Il tourna un moment, mal à l'aise, avant de jeter son grand corps dans un des fauteuils. Il y avait eu une époque où leurs relations n'étaient pas si mauvaises. Bien sûr, il n'avait jamais su ce qu'elle pensait de lui. Cette femme l'impressionnait. Mais il est vrai aussi que toutes les femmes dignes de ce nom l'impressionnaient. Devant Mercier Beaumont comme devant Delmas, il se sentait en danger. Et tiens, même Madame Dubout, la surveillante qu'il avait héritée de Cypriani lui faisait cet effet-là!
Avec celle-ci heureusement , les choses étaient plus faciles: elle n'était qu'une infirmière après tout et la conscience de sa supériorité intellectuelle et sociale lui permettait de l'affronter sans trop de pusillanimité.
Mais les deux autres! De Delmas, on pouvait ricaner: elle avait soixante ans, se teignait ostensiblement les cheveux et se déguisait en petite fille. Mercier Beaumont le laissait muet. Quelque mois auparavant, grisé par ses faciles succès auprès des élèves infirmières, il s'était laissé aller à lui signifier un peu trop crûment qu'il avait envie d'elle. Car Meyer ne s'embarrassait pas de fioritures: il n'invitait pas les femmes au restaurant, ou au cinéma, mais dans son lit. Il leur faisait l'honneur de son désir, il n'allait pas se prendre la tête avec des fadaises. Béatrice en riait encore, tout en se reprochant son manque de charité. Après tout, elle l'aimait bien ce grand escogriffe et n'avait pas voulu le blesser. Lui avait prudemment repris ses distances et s'était pauvrement vengé en prenant part aux ragots que lançait la Delmas. Il s'était à nouveau consacré aux gamines, qui ne dédaignaient pas de raconter aux copines la partie de jambes en l'air avec le docteur. Ils s'évitaient habilement, et elle l'avait félicité de sa nomination provisoire comme chef de service avec une ironie perceptible, dont il savait, hélas qu'elle avait plus à voir avec son incompétence qu'avec une quelconque jalousie. Avec Mercier Beaumont, on ne pouvait pas sauter aux conclusions rapides.
- Ils t'ont interrogée au sujet de Hassan, je suppose...
- Tu supposes bien.
Partager cet article
Repost0

commentaires

Z
Damed !
Répondre
L
Je suis d'accord avec Roanne, ça devient une habitude !! grrrrrr.
Répondre
R
Aïe ! mais quelle manie de nous couper là où ça devient interessant ! lol
Répondre

Contactez L'auteur

  • : Le Blog de Patricia Parry
  • : Un auteur de polars vous parle de ses bouquins et de ceux des autres. Mais aussi des nouvelles, des inédits, une chronique régulière, des billets d'humeur...
  • Contact

 Qui-est-l-auteur.jpgDe la littérature, du polar, des cours d'éditage, des avis sur tout, des conseils à ne pas suivre...  On clique sur la photo pour une présentation express. 

Recherche

Des livres...

Sur un lit de fleurs blanches 

Editions du Masque

18 Juillet 2012

 

 

cinq-le-ons.jpg 

     

 

couv-petit-arrangements-OK-DEF-copie.jpg 

                                                                                                          

 

 01.jpg